Rencontre avec Marc N’timon, patron de la marque de farine et semoule de maïs EbliFoods

Togo First) – Opérationnelle depuis 2019, la Société Industrielle de Transformation des Produits Agricoles Tropicaux (SITRAPAT) au capital de 200 millions FCFA, est une entreprise togolaise, transformatrice de maïs en produits dérivés vendus localement ou exportés vers les pays d’Afrique de l’ouest et de l’UE. Avec une production journalière moyenne estimée à 50 tonnes de semoule et de farine de maïs, son unité de transformation, montée de toutes pièces par les ingénieurs de Bühler et lancée début 2020, en pleine crise Covid-19, a attiré l’attention de Togo First qui est allé à la rencontre de son Directeur général, Marc N’timon.

Togo First (TF) : Qui est  Marc N’timon Fouyare, DG de la SITRAPAT et quel est son parcours ? 

Marc N’timon (MN) : Je suis Marc N’timon, promoteur de SITRAPAT, une société spécialisée dans la transformation pour l’instant du maïs. Elle a été créée en 2018 et se trouve à 35 km de Lomé à la sortie nord de la ville de Tsévié.

S’agissant de mon parcours, je suis ingénieur agronome depuis plus de 20 ans. Une carrière qui m’a permis de travailler avec des paysans sur les questions liées à la santé des plantes et de me rendre compte de la grande place qu’occupe le maïs dans l’agriculture togolaise.

Cette céréale est cultivée en effet par plus de 2 millions de producteurs, qui cultivent chaque année près de 900 000 hectares. Nous avons donc mis en place cette unité de transformation pour d’abord soulager les paysans en ce qui concerne l’écoulement de leur récolte, ensuite pour répondre aux besoins de consommation des populations.

“Nous avons mis en place cette unité de transformation pour soulager les paysans en surproduction et répondre aux besoins de consommation des populations en termes de qualité”

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A l’usine de transformation SITRAPAT

TF : Les activités de votre industrie ont été lancées en plein coronavirus, une pandémie qui a freiné les économies et qui dure depuis bientôt 2 ans.  Quels ont été les impacts de cette situation sanitaire sur vos activités ?

MN : L’usine a été construite alors qu’il n’y avait aucun signe de pandémie à l’horizon du coup le premier impact a été la date d’ouverture que nous avons dû reporter de 2 mois. Nous avons également dû détruire des tonnes de grits, faute d’achat parce que les activités des brasseurs avaient pris un sale coup. Néanmoins, nous continuons à tourner même si les restrictions ne sont toujours pas levées dans certains pays de la sous-région où nous livrons.

Nous continuons à tourner même si les restrictions ne sont toujours pas levées.

TF : Quelles transformations faites-vous concrètement avec le maïs ?

MN : Pour l’instant nous transformons principalement le maïs en deux produits dérivés : la semoule, utilisée pour le brassage de la bière, et la farine, destinée à la consommation. Tous nos produits sortent sous le label ‘Eblifoods’, un mot qui vient de la jonction de “Ébli”, maïs en mina (langue parlée au sud du Togo, ndlr), et “Food” comme nourriture en anglais.

Notre produit phare est la semoule ou le grits. Elle s’exporte principalement vers les brasseries de la sous-région qui nous font confiance, notamment la première brasserie du Bénin (SOBEBRA). Mais, malheureusement sur le plan national, nous n’avons pas encore de contrat avec les brasseries sur place, même si nous le souhaitons vivement.

Quant à la farine, elle est certes destinée à la consommation locale, mais nous exportons également vers d’autres pays comme le Ghana, le Niger, le Burkina et même au sein des pays de l’Union européenne.

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Tous nos produits sortent sous le label ‘Eblifoods’

TF : Pour des produits de consommation encore très peu connus de la population togolaise, quelle stratégie marketing utilisez-vous pour la distribution ?

MN : Nous travaillons avec des distributeurs qui disposent de réseaux de revendeurs sur le marché. Nous comptons ainsi plus de 300 points de vente à Lomé. Plusieurs actions sont entreprises sur le terrain avec des commerciaux pour porter davantage les produits vers d’autres marchés. La marque s’étend à d’autres localités  à l’intérieur du pays.

Face à la flambée des prix des matières premières agricoles, SITRAPAT a gardé inchangés ses prix, avec l’idée de motiver les consommateurs à s’intéresser à ses produits. Pour preuve, nous vendons 2,5 kg de notre farine à 1000 FCFA, alors qu’avec la même somme d’argent vous n’avez que 1,8 kg après l’achat du maïs et sa mouture.

TF : Comment se comporte alors  la demande  de farine sur le marché local dans cette atmosphère de flambée des prix du maïs?

MN : Face à la flambée des prix des matières premières agricoles, nous avons gardé inchangés les prix de nos produits, avec l’idée de motiver les consommateurs à s’intéresser de plus en plus à ces derniers, surtout qu’ils sont nettement moins chers, comparés aux méthodes traditionnelles utilisées pour obtenir la farine.

Pour preuve, nous vendons 2,5 kg de notre farine à 1000 FCFA (1,53 euro, ndlr), alors qu’avec la même somme d’argent, vous n’avez que 1,8 kg après l’achat du maïs et sa mouture. Et pourtant, le marché reste encore capricieux selon ce que nous indiquent nos chiffres.

Nous ne faisons pour l’instant pas de marges, parce que le prix est passé du simple au double sur le marché. Dans de pareilles circonstances, nous avons décidé de ne pas faire marche arrière avec nos clients. Surtout que pour la semoule, nous  avons déjà des contrats avec eux. Nous sommes conscients qu’il faudra honorer les termes des accords, peu importe ce qui se passe. Et c’est l’un des grands défis en entreprise : il faut assumer ses responsabilités.

Nous sommes sûrs de pouvoir faire des marges lorsque les prix vont descendre, mais ce n’est pas l’élément fondamental aujourd’hui. Notre priorité reste le respect des termes des contrats que nous avons signés avec les partenaires qui nous font confiance.

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Sac de farine de mais Eblifoods 2,5 kilos

TF : Cette situation de respect des termes des contrats malgré les caprices des prix des matières premières ne vous encourage-t-elle pas à aller vers des contrats à terme sur les matières premières ?

MN : Bien évidemment ! Il n’y a pas que la fluctuation du prix qui nous y oblige. La disponibilité des matières premières également. Sur ce plan, nous avons déjà des acquis avec plus de 2000 hectares de maïs sécurisés Nous aidons même ses producteurs à obtenir des semences améliorées et des intrants pour un bon rendement, ceci dans un cadre contractuel. Au-delà de ces contraintes, nous le faisons également pour la traçabilité et la qualité des produits que nous transformons.

TF : Les mesures de restriction des exportations d’un pays à un autre se sont multipliées pour juguler l’inflation observée sur le marché des produits agricoles. Pour vous qui êtes à plein pied dans la transformation, quelles pourraient être les conséquences pour votre chaîne de production ?

MN : Nous avons approché les autorités compétentes au Togo, qui nous ont confirmé que nous ne sommes pas concernés par ces interdictions qui portent notamment sur le maïs grain. Une nuance très importante, vu que notre produit fini est la farine. Puisque nous sommes accompagnés dans les processus d’obtention des marchés, les autorités nous ont délivré une autorisation légale d’exportation nous permettant de continuer nos activités en toute quiétude.

TF: Dans un environnement où les opérateurs économiques se contentent le plus souvent du trading (import, export et commercialisation des matières premières) sans une valeur ajoutée, pourquoi avoir pris le chemin de l’industrialisation ?

MN : En tant qu’africain en général et Togolais en particulier, il faut qu’on en finisse avec le système du trading import-export. Nous ne pouvons plus nous contenter d’acheter puis de revendre sans valeur ajoutée. Ce que nous pouvons transformer ici, faisons-le parce qu’il en va de la survie de nos pays. Par ailleurs, les institutions publiques devraient nous accompagner dans cette démarche qui encourage le développement de nos pays.

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Sur le chantier du montage de l’usine avec des partenaires(PNUD, ministre de l’agriculture, …)

TF : Parlant de l’accompagnement, comment avez-vous réussi à créer votre usine, sachant que la question du financement se pose très souvent ? 

MN : La question du financement est très épineuse. C’est un parcours de combattant qui ne devrait pas nous amener à abandonner. Il y a beaucoup de freins, notamment en ce qui concerne les taux d’intérêts trop élevés et la durée des prêts qui n’est pas toujours adaptée à l’industrialisation. Pour mon expérience, je peux vous rassurer : il est possible de se faire accompagner.   

Les banques sont certes frileuses mais il y a toujours des financements. Il faut donc pour cela se battre, mériter un certain niveau de confiance, et mettre du sérieux dans son projet. Pour notre part, nous avons été accompagnés par la NSIA banque.

Cela n’a pas été facile mais avec de la confiance et du sérieux, cela a été possible. Aujourd’hui, il y a de plus en plus de mécanismes de financements qui peuvent aider d’autres promoteurs d’unités.

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(TF) : Au-delà de cette situation conjoncturelle, quels sont les défis auxquels fait face la SITRAPAT  en ce moment et quel serait votre mot à l’endroit des consommateurs locaux pour finir ?   

(MN) : Les défis sont nombreux pour la jeune entreprise que nous sommes. Le premier challenge est de pouvoir amener les brasseries du Togo à s’intéresser à nos produits et pour cela nous sommes disposés à leur fournir tout ce qu’il faut pour gagner leur confiance. L’autre défi est de pouvoir conquérir d’autres marchés sur le continent en leur garantissant une qualité qui répond aux normes internationales. Et pour finir, nous appelons les Togolais à nous faire beaucoup plus confiance et essayer nos produits parce qu’ils ne seront pas déçus par le résultat. 

Fiacre Kakpo & Daniel Comlan Agbenowossi & Octave Bruce

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